Christian HUGLO, Avocat à la Cour. Docteur en droit
Le droit de la santé et le droit de l’environnement ont été construits de façon entièrement différente avec des objectifs a priori séparés. Peut-on dire que cette situation doit être revisitée et repensée aujourd’hui ? La santé, et en particulier la santé publique, a été conçue comme l’ensemble des activités qui contribuent au maintien, à la restauration et à l’amélioration de la santé des individus et des groupes et a toujours été une préoccupation de l’État qui a eu à faire face à toutes formes de calamités, catastrophes épidémiques de nature à affecter plus ou moins gravement la population et poursuivre envers et contre tout, le maintien du bien-être pour tous les individus qui la composent. Les préoccupations liées à la santé sont donc à la fois anciennes et constantes. La question relative à l’environnement est beaucoup plus récente, elle a été posée à la fin de la deuxième partie du XXe siècle face aux objectifs de croissance démographique et économique qui ont multiplié les risques et les phénomènes de pollution et surtout entraîné l’épuisement progressif des ressources, une atteinte difficilement réversible à la biodiversité et, finalement, la multiplication des émissions de gaz à effet de serre. Sur le plan strictement juridique, les objectifs juridiques portés par ces deux thèmes sont aujourd’hui régis en droit interne par deux Codes entièrement séparés et publiés avec environ 50 ans de décalage de l’un par rapport à l’autre. Le droit de la santé obéit à une logique d’organisation administrative de prévention des atteintes à la santé et finalement de permanence des soins. Il a mis progressivement en place des structures et des organisations clairement désignées à cette fin et il est relié au plan international par une institution forte relevant de l’ONU, l’Organisation mondiale de la santé et ce, à la différence du droit de l’environnement qui n’a qu’un faible appui auprès des Nations Unies puisqu’il se rattache seulement à un programme désigné sous le vocable programme des Nations Unies pour l’environnement (PNUE). Si le droit de la santé remonte dans ses principes au moins au XIXème siècle, le droit de l’environnement est apparu à la fin des années 1970 (la date de création d’un Ministère de l’environnement remonte à 1971). Il est d’abord resté axé sur deux préoccupations, 78 Droit de l’environnement & droit de la santé, une convergence obligée d’un côté la protection de la nature sur toutes ses formes et toutes ses variations et d’autre part, la lutte contre les pollutions de toute nature. Ses principaux outils ont été essentiellement fondés sur la reconnaissance de deux impératifs, l’un lié à l’obligation de réparer les dommages écologiques, ce qui a pris plus de 30 ans entre les premières décisions de justice et la loi dite de reconquête de la nature, de la biodiversité et des paysages du 8 août 20161 , ensuite de l’obligation de réaliser une étude d’impact écologique (aujourd’hui appelée évaluation environnementale pour tenter de réduire les effets négatifs d’un projet sur l’environnement et assurer une forme de compensation des dommages créés à l’environnement. Si le champ des études de chacune de ces deux disciplines ne sont pas identiques et les éloigne l’une de l’autre, à y regarder de plus près, celles-ci ne pouvaient rester indifférentes l’une à l’autre. Le tournant a été effectué dans les années 1990 la Cour européenne des droits de l’homme de Strasbourg qui a assimilé le droit de l’environnement à un droit humain2 . L’apparition du concept de santé environnementale défini par l’OMS à la Conférence d’Helsinki en 1994 et le lancement en France au début des années 2000 du plan national santé environnement, les ont rapprochés. C’est surtout sous la pression des faits et des crises annoncées sur le climat et sur la biodiversité (alliés à la pandémie de la Covid-19) qui ont bousculé les perspectives, comme on ne peut que le constater. Mais fort heureusement, la création d’un lien entre les paraît reposer sur une double base théorique solide. La première base théorique est celle opérée par le droit interne spécialement par la loi sur l’air du 30 décembre 1996 par rattachement au droit de la santé3 . En second lieu, le 2e pas a été accompli au niveau constitutionnel par la réalisation d’une passerelle entre les deux disciplines, opérée à l’article 1er de la Charte constitutionnelle de l’environnement de 2005. Ce texte dispose en effet : « Chacun a le droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de sa santé ». En procédant à une analyse minutieuse de ce texte, Mme le professeur Agathe Van Lang souligne ses ambiguïtés mais surtout son intérêt.
1 Voir notre ouvrage, 50 ans de bataille pour l’environnement, Ed. Acte Sud 2021. 2 Voir en particulier, CEDH, 9 décembre 1994, Lopez Ostra c. Espagne, Requête n°16798/90. 3 Relayé par la loi du 30 décembre 1996 qui introduit dans l’étude d’impact environnemental l’obligation de procéder à une étude des impacts d’un projet sur la santé humaine et surtout dans l’article 1er de ladite loi qui a posé pour principe que « nul ne peut respirer un air qui nuise à sa santé »
En effet, la notion d’environnement équilibré recouvre la perspective du maintien de la biodiversité et de l’équilibre des espaces et des milieux naturels ainsi que le bon fonctionnement des écosystèmes et imposant un faible niveau de pollution. Quant à l’expression « environnement respectueux de la santé », celle-ci, pour le même auteur, paraît conçue comme une préoccupation plus collective qu’individuelle car cette notion se rapproche du concept « d’environnement sain » fréquemment utilisé par les constituants pour qualifier ce droit. En tout cas, cette conception est clairement anthropocentrique, écrit-elle4 . Il devient évident aujourd’hui que le droit de l’environnement et le droit de la santé ont un avenir commun et devraient pouvoir fonctionner au mieux possible ensemble. C’est une véritable révolution qui attend le droit de l’environnement qui doit devenir le droit de l’anthropocène, sans pour autant étouffer les principes du droit de la santé qui doivent plus que jamais être remis en avant. Pour y parvenir, il faut d’abord reconnaître les liens entre la santé et l’environnement (Ière partie) et ensuite reconstruire le droit autour de ce lien (IIème partie). I. RECONNAÎTRE LES LIENS ENTRE LA SANTÉ ET L’ENVIRONNEMENT L’une des difficultés les plus grandes actuellement est celle de la reconnaissance des liens étroits gouvernant les rapports entre la santé et l’environnement. Cette difficulté est malheureusement l’objet de polémiques assez peu admissibles, qui vont au détriment de l’établissement d’un lien positif entre les deux notions : l’affaire du glyphosate illustre cette tension5 . Il existe encore bien d’autres exemples, comme l’affaire des lignes à haute tension6 , qui peuvent expliquer les multiples hésitations entre précaution et prévention, sans oublier d’ailleurs la stigmatisation volontaire du principe de précaution comme prétendu facteur de paralysie du progrès. Une telle perspective n’est plus admissible lorsque l’on parle de choses aussi graves que le Covid-19, dont les symptômes sont notamment aggravés par la pollution de l’air7 . Aujourd’hui l’alerte a été lancée sur les liens existants entre l’apparition des virus et la perte de richesse en biodiversité : dans un article du 25 mars 2020, Juliette DUSQUENE
4 Cf. VAN LANG A., « Droit de l’environnement », 5ème édition n° 78. 5 « Pas de glyphosate dans la commune », veille par Lucienne ERSTEIN, Énergie – Environnement – Infrastructures n° 12, décembre 2019, alerte 182. 6 « Les lignes à haute et très haute tension et champs électromagnétiques : risques pour la santé », Notreplanète.info, 27 août 2019. 7 Coronavirus : la pollution de l’air est un « facteur aggravant », alertent médecins et chercheurs, MANDARD S., Le Monde, 30 mars 2020. 80 Droit de l’environnement & droit de la santé, une convergence obligée pointe du doigt le lien entre la baisse de biodiversité et la hausse du nombre d’épidémies dans le monde, en l’occurrence le développement du Covid-198 . Elle souligne ainsi que, aux États-Unis, « le nombre de personnes infectées a en effet baissé de 95 % entre 1900 et 1980. Et pourtant, au niveau mondial, le nombre d’épidémies a été multiplié par plus de 10 entre 1940 et aujourd’hui. » L’explosion des épidémies est due, selon elle, à la disparition de la biodiversité : plus la biodiversité est forte, plus il existe de virus circulant à « faible bruit », c’est-à-dire qui se transmettent mal car ils sont absorbés par des espèces jouant le rôle de véritables tampons entre l’animal et l’homme. Une étude sur la diversité des oiseaux nord-américains et le développement de la fièvre du Nil occidental démontre ainsi que plus la population d’oiseaux est diverse, plus cette diversité aide à protéger et filtrer cette infection et ainsi éviter sa propagation à l’être humain. Pour un de ses auteurs, c’est une illustration importante du lien entre la biodiversité et la santé humaine9 . Or, les populations d’oiseaux ont chuté de plus de 25% ces dernières années en Amérique du Nord10 . C’est lorsque cette biodiversité chute, du fait notamment de la réduction de l’habitat sauvage, de la disparition d’espèces étroitement liées à leurs habitats, que l’Homme favorise les contacts et la transmission : « avec la déforestation, l’urbanisation et l’industrialisation effrénées, nous avons offert à ces microbes des moyens d’arriver jusqu’au corps humain et de s’adapter » dénonce Sonia SHAH11 . Un même constat peut être dressé du fait de la disparition des forêts dans le Nord-Est américain, où le développement urbain chasse les opossums, qui ont toujours contribué à réguler la population de tiques, en servant d’hôtes pour celles-ci, au profit d’espèce moins adaptées à cette régulation, comme le cerf. La conséquence directe de cet appauvrissement est le développement de la transmission de la maladie de Lyme, passant de 48,610 cas en 2016 à 59,349 cas en 2017 aux États-Unis12 . Pour Inès LEONARDUZZI, la fréquence des épidémies s’est accélérée ces dernières années, sans signe de décroissance à l’horizon, car notre mode de vie qui tend à détruire des zones de vie sauvage, contraint des animaux porteurs de maladies à s’installer dans notre habitat, sans espace entre la maladie et l’être humain : « C’est en fait tout notre mode de fonctionnement qu’il faut mettre à jour13 ».
8 DUSQUENE J., « Covid-19 : La baisse de la biodiversité et la hausse du nombre d’épidémies », 25 mars 2020, Carnets d’alerte. 9 Requête n°16798/90, « Diversity Of Birds Buffer Against West Nile Virus», BirdLife International, 6 mars 2009. 10 ZIMMER C., « Birds are vanishing from North America », The New York Times, 19 septembre 2019. 11 SHAH S., « Contre les pandémies, l’écologie », 17 mars 2020, Le Monde diplomatique. 12 « Lyme and other tickborne diseases increasing », Centers for Disease Control and Prevention, 22 avril 2019. 13 LEONARDUZZI I., « Opinion | Coronavirus : le pangolin n’y est pour rien », Les Echos, 20 mars 2020. Christian HUGLO 81
Ce lien a également été reconnu par des instances en charge de la protection de la biodiversité. Dans le cadre de la déclaration de Gangwon, en Corée du Sud, à l’issue de sa 12e Conférence des parties, la Convention pour la diversité biologique a ainsi reconnu « la valeur de l’approche « Un monde, une santé » pour traiter la question intersectorielle de la diversité biologique et de la santé humaine, en tant que stratégie intégrée […] qui tient compte des corrélations complexes entre humains, microorganismes, animaux, végétaux, agriculture, vie sauvage et environnement14 ». Elle encourage également ses parties à promouvoir au niveau national une coopération entre agences responsables de la biodiversité, et celles en charge de la santé. Les experts du GIEC alertent également sur le fait que le changement climatique entraîne des risques de morbidité et de mortalité liés à la chaleur, à l’ozone et à certaines maladies à transmission vectorielle plus importants 15 .Les déséquilibres écologiques sont à l’origine de ces pandémies, et s’il n’y avait pas eu le Covid-19, une autre pandémie serait survenue16. Notre situation actuelle est « un coup de boomerang qui nous revient à la figure et que nous avons nous-mêmes lancé », selon les mots de Jean-François GUÉGAN17 . Et Serge MORAND, chercheur au CNRS-CIRAD, d’alerter : « si nous ne préservons pas la biodiversité, les crises sanitaires vont se multiplier. Pour prévenir une prochaine crise comme celle-ci, il faut traiter les causes plutôt que de se retrouver encore et encore à traiter les conséquences18 ». Il y a fort à parier que lors de la prochaine réunion à Kunming, en Chine, de la Conférence des parties à la Convention pour la diversité biologique, ces questions seront au cœur des débats.
II. RECONSTRUIRE LE DROIT AUTOUR DE CE LIEN Il est évident qu’il serait présomptueux d’imaginer ce que pourrait être le droit international tel qu’il résultera de la réunion chinoise précité en espérant que des dispositions contraignantes, notamment sur l’obligation d’information et la coopération scientifique en ressortiront – comme cela a été le cas à la suite de l’accident de Tchernobyl où il n’avait pas fallu attendre six mois pour édicter une convention
14 Décision adoptée le 17 octobre 2014 par la Conférence des parties à la Convention sur la diversité biologique, dans le cadre de la douzième réunion à Pyeongchang (République de Corée), du 6 au 17 octobre 2014. 15 « Global Warning of 1.5°C, Summary for Policymakers », GIEC, 2018 et rapport du 4 avril 2022. 16 Propos de Serge MORAND, chercheur CNRS-Cirad, recueillis par Juliette DUQUESNE dans « Coronavirus : “La disparition du monde sauvage facilite les épidémies” », Marianne, 17 mars 2020. 17 LINDGAARD J. et POINSSOT A., « Le coronavirus, ‘un boomerang qui nous revient dans la figure’ », 22 mars 2020, Médiapart. 18 DUSQUENE J., « Covid-19 : La baisse de la biodiversité et la hausse du nombre d’épidémies », 25 mars 2020, Carnets d’alerte. 82 Droit de l’environnement & droit de la santé, une convergence obligée internationale qui s’imposait, notamment sur l’information de la population en cas d’accident nucléaire19 . La crise actuelle doit transformer la révélation du lien intrinsèque entre la protection de l’environnement et notre santé, en une véritable institutionnalisation de notre appréhension de ce lien. La cause de la crise environnementale étant globale, la réponse apportée par le droit doit également être globale. Plus modestement, au seul niveau national, il faut bien constater, que cette défaillance est connue mais non traitée. Et la critique la plus forte est celle qui a porté sur la faiblesse des plans santés et environnement. Si, le Conseil général de l’environnement et du développement durable souligne en effet dans un rapport d’avril 2013 que « les écosystèmes rendent des services qui sont bénéfiques à la santé » et que « la préservation de la biodiversité est aussi un enjeu de santé », cette reconnaissance n’a pas été traduite en actes20 . Dans un article relatif à la loi santé de 201621, Madame le Professeur Béatrice PARANCE critique les faiblesses de la prise en considération de ce lien, aux yeux duquel les prévisions de cette loi paraissent bien maigres : « de nombreux élus et associations ont fortement regretté que cette loi n’ait pas permis d’avancer plus avant sur la question des risques liés aux substances chimiques, dont certaines ont des fonctions de perturbation endocrinienne, aux pesticides ou encore aux nanomatériaux. Seules deux questions ont retenu l’attention en substance, celle de la qualité de l’air et celle de l’amiante22 ». Elle rappelle également le jugement sévère porté par la Cour des comptes sur les politiques nationales de lutte contre les pollutions atmosphériques 23 , qui « affirme d’emblée le caractère artificiel de la volonté politique de lutte contre la pollution atmosphérique alors même que les coûts sanitaires et économiques liés à cette pollution sont très importants. » La référence à des expériences étrangères serait la bienvenue : en effet, l’initiative « Un monde, une santé » de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) et l’Organisation mondiale de la santé animale (OIE) a pour ambition de créer des liens entre la santé humaine, animale, et environnementale, pour garantir le développement et la santé globale de tous les organismes24 . 19 Convention sur la notification rapide d’un accident nucléaire, 26 septembre 1986. 20 Les liens entre santé et biodiversité, Rapport d’avril 2013 du Conseil général de l’environnement et du développement durable, n°008095-01. 21 Loi n°2016-41 du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé. 22 PARANCE B., « Les faiblesses de la prise en considération du lien Santé Environnement dans la nouvelle loi santé », Journal de Droit de la Santé et de l’Assurance Maladie, 1er mars 2016, pages 119-121. 23 Cour des comptes, Les politiques publiques de lutte contre la pollution de l’air, 21 janvier 2016. 24 L’approche multisectorielle de l’OMS, « Un monde, une santé», septembre 2017. Christian HUGLO 83
Elle invite les professionnels de la santé publique, la santé animale, la santé végétale et de l’environnement, à « unir leurs forces à l’appui des approches « Un monde, une santé », qui permettent de « détecter, traiter et prévenir efficacement les flambées épidémiques de zoonoses et les problèmes de sécurité sanitaire des aliments ». Ces actions invitent également « les responsables des administrations publiques, les chercheurs et les travailleurs travaillant aux niveaux local, national, régional et mondial » à « mettre en œuvre des interventions conjointes pour répondre aux menaces qui pèsent sur la santé ». Mais, le malheur avait voulu que le Président des États-Unis de l’époque avait décidé la mise entre parenthèse des lois environnementales pour une durée indéterminée, dans le contexte du Covid-1925… Heureusement, ce n’est plus aujourd’hui de mise, mais on ne sait jamais. Aujourd’hui, plusieurs directions doivent être explorées : Pour Yuval NOAH HARARI, une bataille s’engage dès aujourd’hui pour faire de notre santé un terrain de surveillance accrue, et une donnée partagée non seulement avec notre État mais potentiellement d’autres États26 . Pour Inès LEONARDUZZI, cette pandémie doit engendrer un « plan social écologique » qui aurait pour but d’intégrer l’écologie et les principes du développement durable dans une démarche transversale27 . Dans un second temps, des « états généraux du futur de l’agriculture et du bien-bâtir » viseraient à repenser le modèle de construction agricole autour de ces principes de bonne gestion écologique. Ces états généraux « seraient l’occasion de définir de nouveaux modes d’expansion, des circuits courts et une consommation française à la fois équilibrée et responsable. Pour cela, on pourrait s’orienter vers l’habitat et l’agriculture verticale, l’écoconception ou le réemploi des matériaux et respecter les saisonnalités. Cela permettrait par ailleurs d’assainir les sols, rétablir des forêts pour y réintégrer oiseaux et animaux délogés, en cours d’extinction, et rééquilibrer les écosystèmes naturels ». Il n’y a pas seulement à regarder du côté du droit de l’agriculture et de l’alimentation, mais aussi du droit des techniques spécifiques qui ont créé le droit de l’environnement. Il s’agit ici de parler brièvement de la nécessaire extension du droit de l’évaluation environnementale, notamment lorsque la biodiversité, et en particulier la biodiversité forestière, doit être impliquée. La jurisprudence internationale en matière d’étude d’impact climatique a réussi ce tour de force d’obliger les auteurs d’étude d’impact à se préoccuper non seulement, des effets 25 BEITSCH R., « EPA suspends enforcement of environmental laws amid coronavirus », The Hill, 26 mars 2020. 26 HARARI Y.-N., FRAMMERY C., « Le monde après le coronavirus », Le Temps, 24 mars 2020. 27 LEONARDUZZI I., « Opinion | Coronavirus : le pangolin n’y est pour rien », Les Echos, 20 mars 2020. 84 Droit de l’environnement & droit de la santé, une convergence obligée directs, mais également des effets indirects d’un projet ; Une affaire judiciaire tranchée en Australie illustre bien ce propos : l’administration australienne reprochait à un projet d’équipement minier consacré au charbon et dans lequel l’aspect indirect de la production du charbon, c’est-à-dire la vente de ce charbon dans le monde, n’avait pas été mesurée au regard des critères du réchauffement climatique – c’est ce qu’on appelle l’évaluation de l’effet indirect28 . L’idée ici serait d’orienter la recherche sur les effets d’un projet appauvrissant la biodiversité sur le risque de développement viral, étude délicate on en convient, sans doute très onéreuse, mais totalement nécessaire. De même, la question des élevages intensifs, vecteurs de virus29, devrait être repensée en incluant cette même dimension. C’est dire qu’il faut condamner clairement les tentatives qui ont lieu en France de réduire, voire même d’écarter l’étude d’impact, et l’évaluation environnementale d’un projet30 . Pour Laurent FONBAUSTIER, l’urgence environnementale impose de s’interroger clairement sur les « modes de production, de distribution et de consommation écologiquement et socialement très néfastes […] depuis longtemps généralisés et juridiquement permis. Leur traitement supposerait un changement d’échelle, une modification du regard sur les liens de causalité, ainsi qu’un dépassement d’une optique strictement juridique et contentieuse. À mi-chemin […] dans certaines situations, l’intervention d’un juge serait inopérante ou inadaptée, et la « pression sociétale » semble alors la seule issue possible pour faire changer les comportements individuels31 ». Finalement, c’est une véritable révolution du droit de l’environnement, fondée sur le droit de la santé, et donc le droit à la vie, qu’il faudra entreprendre ; l’opération sera difficile car la tentation reste forte à l’issue de la guerre en Ukraine et de la crise du Covid de privilégier le court terme sur le long terme. Une autre piste, celle-ci théorique, devra absolument être explorée demain, que l’on appelle le concept « one health ». Ce concept vise, selon une communication du Conseil scientifique Covid 19 rendue publique le 8 février 2022, à mettre en lumière les relations entre la santé humaine, la santé animale, les écosystèmes et à faire le lien entre l’écologie et la médecine humaine et vétérinaire.
28 THUILLIER T., « Dialogues franco-australiens sur la justice climatique », Energie – Environnement – Infrastructures, LexisNexis, 2019, pp.46 ; voir également à ce sujet, Méthodologie de l’étude d’impact climatique: Droits européen, français et anglo-saxon, Christian HUGLO, 1ère édition, Bruylant, 2020. 29 CAILLOCE L., « Quand l’homme favorise les épidémies », 23 septembre 2014, Journal du CNRS. 30 HUGLO C., « Évolution du droit de l’environnement : entre le chaud et le froid », Énergie – Environnement
Infrastructures n° 3, Mars 2020, repère 3. 31 FONBAUSTIER L., aperçu « Rapport « Une justice pour l’environnement ». Des constats lucides et des préconisations fortes, sources d’inspiration d’un projet de loi en cours d’adoption », La Semaine Juridique Edition Générale, n° 10, 9 Mars 2020, 260. Christian HUGLO 85 Elle se décline en concept « éco health » qui prône l’approche écosystémique de la santé et tendant à se concentrer sur les problèmes environnementaux et socio-économiques. Il est lié au « concept de santé de la planète » qui prend en compte les limites physiques et biologiques planétaires au sein desquelles la santé, le bien-être et l’équité pour l’humanité peuvent se développer ce qui comprend le concept de santé environnementale qui contient les aspects de la santé humaine, y compris la qualité de la vie qui sont déterminés par les facteurs physiques, chimiques, biologiques, sociaux, psychosociaux et esthétiques de notre environnement. En définitive, le droit de l’environnement doit de ce côté devenir un droit pilote et il a une vocation universaliste comme il doit être un droit du vivant qui devait permettre une nouvelle approche du concept même de droit naturel, nous ne sommes pas encore prêts à faire ce pas. A cette fin, il faudrait que l’effort accompli par le GIEC soit réalisé par l’IPBES32 et que les réunions relatives à la biodiversité qui se déclinent également en conférences des parties aient le même succès que les résultats que ceux apportés par les travaux du GIEC. Il faudrait alors que le multilatéralisme, caractéristique essentielle et constructive du droit international se redéveloppe ce, alors que dans le contexte actuel de guerres et de divisions nationales qui envahissent notre vue à court terme de l’horizon, la situation paraît plus que fragile. Il n’en reste pas moins qu’elle sera construite encore une fois au niveau des efforts que fait la société civile. Tel est l’intérêt actuel que présente l’expérience du contentieux climatique, qui reconnaît une valeur particulière à l’obligation climatique et qui se décline, soit à partir de la Cour suprême de Hollande dans un droit l’homme33, soit comme un impératif de l’objectif maximal d’augmentation des gaz à effet de serre en pourcentage par rapport à la base de 90, à 1,5° résultant de l’accord de Paris du 15 décembre 2015 ou mieux encore, référencée aux générations futures selon l’arrêt de la Cour fédérale de Karlsruhe qui, dans sa décision du 21 mars 2021, reconnaît l’obligation à la charge de chaque génération présente de réserver le droit à un même environnement et un même droit à la santé pour chaque génération future. Quand on voit le barrage qui a été effectué lorsque le Gouvernement français a voulu modifier l’article 1er de la Constitution qui devait réunir à la fois l’impératif de la lutte contre le réchauffement climatique et la protection de la biodiversité et à travers elle, le droit de la santé, on peut se dire que le chemin est encore long à accomplir mais comme 32 L’IPBES est une organisation indépendante dont la structure et les méthodes sont calquées sur celles du GIEC. 33 Articles 2 et 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, l’article 2 visant le droit à la vie, l’article 8 visant le droit à la vie familiale normale exempte d’agression par la pollution. 86 Droit de l’environnement & droit de la santé, une convergence obligée l’a écrit le poète allemande HÖLDERLIN, plus grand est le péril, plus grand est ce qui sauve. L’espérance et la ténacité qui accompagnent la plupart de vos contemporains ne sauraient rester des mots vains car il y va ici d’une constante essentielle à l’humanité, tout simplement mais fondamentalement le maintien de sa dignité.
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